Bruxelles. L’histoire de la crypto sur le vieux continent s’écrit en ce moment. Non sans quelques erreurs, à en croire les dires d’experts conseillant les institutions européennes. « De nombreuses personnes à la Commission se servent de l’effondrement du marché crypto pour démontrer qu’il s’agit d’une grossière pyramide de Ponzi », a avoué Peter Kerstens, conseiller en numérisation de la finance à la Commission européenne lors de son intervention à la première édition de la Brussels Blockchain Week. 

Or, l’Union européenne est sur le point de conclure un accord sur MiCA (Markets in Crypto-Assets), son grand cadre pour réglementer le secteur de la cryptoactif en standardisant les normes pour les 27 États membres. Sans que l’on sache quel sort sera réservé aux NFT et aux stablecoins récemment diabolisés au travers de la catastrophe financière de Terra. Sans savoir non plus comment l’impact environnemental sera pris en compte ni comment les politiques existantes de lutte contre le blanchiment seront répercutées. Une situation d’incertitude qui alimente de vives craintes au sein de l’industrie crypto. La question principale demeurant dans quelle mesure cela bouleversera l’écosystème.

« Étonnamment, pas grand-chose n’a changé. Le grand changement a lieu pour l’Europe, pas vraiment pour nous », relativise Martin Bruncko, Head of Europe de Binance, intervenant lui aussi à la Blockchain Week bruxelloise. « Nous ne sommes pas devenus le premier exchange de la planète par hasard. Si nous en sommes arrivés là, c’est parce que nous avons toujours placé l’utilisateur et la protection des utilisateurs en priorités. » Le vice-président exécutif du géant crypto estime que tout ce qui vise l’industrie, notamment pour assurer la sécurité des utilisateurs comme l’entend MiCA, a déjà été implémenté. Et pour cause, Binance a entrepris un vaste chantier de conformité réglementaire, intensifiant les efforts ces 18 derniers mois pour tenter d’obtenir l’aval des régulateurs, en particulier ici en Europe.

Une aubaine plus qu’une menace ?

Désormais reconnue officiellement en France, en Italie et bientôt dans un troisième pays qui sera annoncé sous peu, Binance s’autorise à penser que l’évolution réglementaire européenne ne bouleversera certainement pas ses activités. Au contraire, affirme Martin Bruncko, la perspective d’un marché unique des cryptos dessinée par MiCA devrait s’avérer largement bénéfique pour le secteur. « Un tel marché consolidé n’existe pas actuellement. Pour un acteur crypto désireux d’opérer au niveau européen, c’est vraiment difficile, car si vous voulez être complètement régulé, vous devrez vous adapter à une quinzaine de régimes réglementaires différents dans 27 pays », explique-t-il, insistant entre autres sur l’énorme coût que cela implique, en capitaux et en ressources humaines. 

Sur papier donc, si les législateurs se montrent pragmatiques à l’issue de leurs négociations en trilogue, le concept de marché crypto européen unique appelé à voir le jour dans quelques années constituerait une véritable opportunité. À tous les niveaux, entrepreneurial bien sûr, puisque cela faciliterait le déploiement des start-ups, qui bénéficieraient de plus de clarté juridique et, dès lors, de plus de précision pour leur stratégie. Au niveau des consommateurs ensuite, attirés par un environnement plus sécurisé. Et la logique voudrait que cela profite aux dirigeants politiques, en termes de compétitivité économique voire de souveraineté numérique. « Un avantage énorme », insiste le VP de Binance.   

L’actuel leader des bourses d’actifs numériques peut certainement se réjouir par anticipation de ces conséquences. Si davantage d’investisseurs ont confiance en l’écosystème crypto, ils recourront probablement à ses services. Services qui ne cesseront de s’améliorer, compte tenu des revenus supplémentaires, qui permettront d’offrir des prix encore plus concurrentiels et d’attirer encore plus de clients. Et ainsi de suite. « C’est un raisonnement simplifié, naturellement, mais cette réglementation permettra surtout de développer des acteurs déjà existants. Ce qui risque d’empêcher, et a déjà freiné, l’émergence de plateformes européennes », objecte Alexandre Alexandre Stachtchenko, directeur Blockchain & Cryptos chez KPMG France.

Européanisation forcée des exchanges

Décrié par de nombreux acteurs de la communauté Web3 pour la radicalité de certaines de ses mesures détachées de la réalité technologique, le règlement MiCA en gestation disposerait d’une subtilité intéressante quant au pouvoir d’attraction vers le marché européen de grosses entreprises étrangères.

« Si les législateurs font bien les choses et que le cadre régulatoire est positif, cela attirera autant de grands acteurs crypto vers l’Europe et rendra ces acteurs aussi européens que faire se peut », analyse Martin Bruncko. « C’est exactement ce qui s’est passé avec Binance. Nous n’avions jamais disposé d’un siège social, ce qui posait problème aux yeux des autorités, car nous n’étions pas étiquetés comme Américains, Chinois, Japonais, peu importe. Avec un cadre clair, les législateurs européaniseront les acteurs. »

De là à annoncer que la plateforme crypto créée par Changpeng « CZ » Zhao allait établir son siège social à Paris, il n’y avait plus qu’un pas que le responsable de Binance Europe n’a pas fait. Ce dernier a admis qu’il s’agissait d’une éventualité que la direction gardait à l’esprit, imaginant une situation où, si les choses continuent à évoluer comme elles le font, Binance pourrait finir par avoir un siège en Europe. Avant d’épiloguer sur le sujet d’un « ne jamais dire jamais ».

Tout n’apparaît pas rose pour autant dans les exigences et restrictions qui se préparent sous MiCA notamment, mais plus largement dans les sphères décisionnelles de l’Union européenne. Surtout qu’au moment même où les panellistes de la Brussels Blockchain Week débattaient de la réglementation, Christine Lagarde appelait le Parlement européen à toujours plus d’efforts. À la manière d’un Jack Dorsey prophétisant déjà le Web5, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) réclamait déjà un « MiCA 2.0 » censé s’attaquer à la DeFi, avec dans le collimateur les activités de staking et de lending, laissant la porte ouverte à la spéculation débridée et la criminalité financière.

« Just chill »

S’avouant partiellement convaincu de son conseil, Martin Bruncko a néanmoins recommandé à tout un chacun de calmer les ardeurs. « Détendons-nous. Tout ceci reste une technologie émergente, qu’il s’agisse de DeFi ou de NFT aussi. Le pire que l’on puisse faire en tant que régulateur serait d’infantiliser les acteurs régulés. Car c’est le meilleur moyen de tuer l’innovation », affirme le responsable Europe de Binance. Autrement dit, interdire formellement ou imposer des mesures à un stade où l’on ne cerne pas encore pleinement ni les enjeux ni les retombées.

 

Article rédigé par François Remy pour Cointelegraph