Alors que l’Union européenne s’apprête à faire entrer pleinement en vigueur le règlement MiCA, censé harmoniser le marché des actifs crypto sur le Vieux Continent, un nouveau front de tension s’ouvre entre Bruxelles et les États membres. L’AEMF, l’Autorité européenne des marchés financiers, plaide pour une centralisation accrue de la supervision, estimant que le patchwork actuel d’autorités nationales mine les objectifs de cohérence et d’efficacité. Mais entre enjeux de souveraineté, divergences d’interprétation du passporting et craintes de déséquilibres, l’unification réglementaire est loin d’être acquise.

L'AEMF monte au créneau pour centraliser la régulation crypto

Dans une interview accordée au Financial Times, Verena Ross, présidente de l’AEMF a exprimé son souhait de voir l’autorité européenne prendre le relais des régulateurs nationaux dans la supervision des acteurs crypto. « Le transfert de la supervision vers l’AEMF permettrait de construire un paysage financier plus intégré et compétitif à l’échelle mondiale », a-t-elle affirmé. Selon Ross, le modèle actuel de délivrance des licences, confié aux régulateurs de chaque État membre, crée une dispersion des expertises, des redondances coûteuses et des standards de supervision inégaux.

Cette inquiétude se fonde notamment sur l’évaluation menée par l’AEMF en juillet, qui pointait du doigt les failles dans le processus d’autorisation de Malte. Aujourd’hui, certaines petites juridictions comme la Lituanie, Malte ou le Luxembourg se trouvent en première ligne de l’attribution des premières licences MiCA. Robinhood Europe a ainsi reçu son autorisation en Lituanie, tandis que des géants comme OKX et Crypto.com ont obtenu le feu vert à Malte. Les exchanges crypto Bitstamp et Coinbase sont quant à eux enregistrés au Luxembourg. Une situation qui, selon l’AEMF, menace l’équité de marché et l’harmonisation voulue par MiCA.

Les États membres s’opposent à l’uniformisation du régime de licence

Au cœur des tensions : la règle du « passporting », qui permet à un acteur crypto licencié dans un État membre d’exercer dans toute l’Union sans obtenir d’autorisation supplémentaire. Ce mécanisme, fondamental dans l’architecture MiCA, provoque néanmoins des crispations croissantes. La France envisagerait même d’imposer des restrictions aux sociétés crypto titulaires d’une licence étrangère souhaitant opérer sur son territoire, une initiative qui remettrait en cause les principes du marché unique.

Ces divergences illustrent l’un des principaux défis du cadre MiCA : garantir une mise en œuvre homogène dans les 27 États membres. Comme le souligne Jérôme Castille, directeur de la conformité chez CoinShares, « le plus grand défi de MiCA, c’est l’uniformité de son application ». Le fait que chaque pays dispose de son autorité nationale de supervision accentue la fragmentation du cadre réglementaire et menace, à terme, l’objectif de cohérence poursuivi par l’Union.

Dans ce contexte, l’ambition d’un encadrement centralisé sous l’égide de l’AEMF apparaît comme un tournant décisif, mais politiquement délicat. Si elle aboutit, cette réforme pourrait enfin permettre de créer un marché unique européen pour les actifs crypto. À l’inverse, des résistances trop fortes pourraient déboucher sur un MiCA à deux vitesses, minant la crédibilité du dispositif dès ses débuts.