Dans une tentative audacieuse de resserrer son emprise réglementaire sur les marchés financiers et crypto, la Commission européenne vient de proposer un transfert inédit de pouvoirs à l’AEMF. Derrière cette manœuvre se cache une ambition claire : réduire l’écart concurrentiel avec les États-Unis, tout en renforçant l'intégration des marchés de capitaux au sein du bloc. Une proposition qui, si elle est adoptée, pourrait redéfinir en profondeur le paysage crypto européen, en particulier pour les acteurs opérant au-delà des frontières nationales.

L’Europe centralise : l’AEMF au cœur du dispositif

Le 5 décembre, la Commission européenne a dévoilé une proposition législative visant à confier à l’AEMF des pouvoirs de supervision directe sur des infrastructures clés. Cela concerne notamment les prestataires de services sur actifs numériques (CASP), les plateformes de trading et les contreparties centrales. Une réforme qui s’inscrit dans une volonté de convergence réglementaire avec les États-Unis. « Le rôle de l’AEMF dans la supervision des marchés européens se rapprocherait de celui de la SEC américaine », peut-on lire dans le communiqué officiel.

Ce transfert de compétences répond à une problématique de fragmentation : l’Europe souffre d’un millefeuille réglementaire où chaque pays applique les règles à sa manière, freinant l’innovation et la compétitivité. En septembre, la France a rejoint l’Autriche et l’Italie pour demander que l’AEMF supervise directement les acteurs majeurs de la crypto, citant notamment les failles du régime de licence à Malte. En juillet, l’AEMF pointait déjà que l’autorité maltaise n’avait « que partiellement rempli les attentes » lors de l’autorisation d’un prestataire crypto.

Risques pour les start-ups et crispations sur le passporting

Mais cette centralisation inquiète aussi. Des voix s’élèvent pour alerter sur les effets potentiellement néfastes pour l’écosystème crypto européen, notamment les jeunes pousses. Faustine Fleuret, responsable des affaires publiques chez Morpho, avertit : « Centraliser l’autorisation et la supervision au sein de l’AEMF nécessiterait des ressources humaines et financières considérables, ce qui ralentirait l’innovation, en particulier pour les nouveaux entrants. » Un avertissement pris au sérieux dans un contexte où l’Europe peine déjà à retenir ses talents dans la DeFi et la fintech.

Autre point de tension : le mécanisme de passporting des licences crypto entre États membres. La France menace désormais de bloquer cette mutualisation si les standards réglementaires ne sont pas harmonisés, une prise de position qui fait écho aux limites perçues de la régulation MiCA. Des révisions sont déjà en discussion, incluant des règles plus strictes pour les activités hors UE, une meilleure supervision de la cybersécurité et un encadrement renforcé des levées de fonds en tokens.

Alors que le marché des capitaux européen ne représente que 73 % du PIB de l’UE, la réforme vise aussi à relancer la compétitivité économique. Mais pour y parvenir sans freiner l’innovation, un subtil équilibre devra être trouvé entre surveillance rigoureuse et agilité réglementaire. La suite se jouera au Parlement européen et au Conseil, où les négociations s’annoncent tendues.