Alors que l’Union européenne s’apprête à faire entrer en vigueur le règlement MiCA, censé harmoniser le marché des actifs crypto, la Banque de France tire la sonnette d’alarme. François Villeroy de Galhau, son gouverneur, exhorte à un virage stratégique : confier à l’AEMF le pouvoir de supervision directe des émetteurs de stablecoins et des géants crypto. Objectif : éviter les failles du passeport réglementaire et préserver la souveraineté monétaire européenne.

Supervision crypto fragmentée : La mise en garde de la Banque de France

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a profité du forum ACPR-AMF tenu à Paris pour appeler à un changement majeur dans l’architecture de supervision crypto de l’Union européenne. « Je plaide, avec la présidente de l’AMF, pour une supervision européenne des émetteurs d’actifs crypto, assurée par l’AEMF », a-t-il déclaré. Selon lui, le cadre MiCA, bien qu’ambitieux, présente un risque majeur : celui d’une application inégale des règles à travers les États membres. En laissant les autorités nationales superviser seules les entreprises crypto, l’UE court le risque d’un arbitrage réglementaire et d’une surveillance à deux vitesses.

Villeroy estime que seule une supervision centralisée par l’AEMF, basée à Paris, garantirait une mise en œuvre cohérente des règles et la fin des contournements. Il s’est également inquiété de l’effet du système de passeporting crypto prévu par MiCA, qui permet à un acteur régulé dans un État membre d’opérer dans toute l’Union. Or, des failles ont déjà été relevées. En juillet, l’AEMF a critiqué la supervision partielle du régulateur maltais, et en septembre, l’AMF française a même évoqué la possibilité de remettre en cause le passeport si les faiblesses persistent.

Les stablecoins en ligne de mire : menace pour l’euro et appel à un durcissement

L’autre volet majeur du discours de Villeroy de Galhau concerne les stablecoins, et plus particulièrement ceux adossés au dollar. Il qualifie leur développement d’« affaiblissement potentiel de la souveraineté monétaire européenne », pointant notamment la pratique dite de « multi-émission » : un même stablecoin peut être émis à la fois dans et hors de l’UE, avec des réserves partielles, ce qui ouvre la voie à des déséquilibres systémiques. Pour le gouverneur, cette faille réglementaire pourrait accélérer la dépendance de l’Europe à des infrastructures de paiement privées, non européennes, et difficilement contrôlables.

Le constat du gouverneur est partagé. Le 1er octobre, le Conseil européen du risque systémique (ESRB) a recommandé d’interdire la multi-émission de stablecoins dans et hors de l’Union. Et dès le 19 septembre, la vice-gouverneure de la Banque d’Italie, Chiara Scotti, évoquait des risques juridiques et opérationnels liés à ce modèle. « La réponse passe par un encadrement beaucoup plus strict », martèle Villeroy, appelant à un parachèvement urgent du cadre réglementaire européen.

Cette prise de position reflète une ligne de fracture croissante entre la volonté d’ouverture aux innovations crypto et la nécessité de protéger les fondements économiques de l’Europe. À l’heure où l’AEMF prépare sa montée en puissance, ces débats pourraient déboucher sur un renforcement significatif du cadre MiCA — voire sur une révision accélérée. Un dossier à surveiller de près dans les mois à venir.