World Network, le projet d'identité numérique et de cryptomonnaie piloté par Sam Altman d'OpenAI, suscite de vives inquiétudes chez les défenseurs de la vie privée, alors que son lancement aux États-Unis se profile. Les pratiques de collecte et de protection des données soulèvent déjà de nombreuses critiques.
« World, c’est l’opposé de la vie privée. C’est un piège », déclare Nick Almond, PDG de FactoryDAO, sur X (anciennement Twitter). Le projet affirme pourtant vouloir protéger les données personnelles à l’ère de l’intelligence artificielle. Il a néanmoins fait l’objet de nombreuses enquêtes réglementaires dans plusieurs pays.
Anciennement appelé Worldcoin, ce projet repose sur une technologie de scan d’iris et un système de distribution de tokens. Il est actuellement dans le viseur des autorités en Inde, en Corée du Sud, en Italie, en Colombie, en Argentine, au Portugal, au Kenya et en Indonésie. En Espagne, à Hong Kong et au Brésil, il est tout simplement interdit.
Son arrivée prochaine aux États-Unis pourrait constituer l’un des défis les plus complexes pour Sam Altman, dans un pays où la protection de la vie privée varie fortement d’un État à l’autre.
Des lois variables sur la vie privée qui exposent les utilisateurs à des risques
Le 30 avril, Sam Altman a annoncé que World s’implanterait dans plusieurs « pôles d’innovation » aux États-Unis : Atlanta, Austin, Los Angeles, Miami, Nashville et San Francisco. Les utilisateurs pourront y faire scanner leur iris, fournissant ainsi à World une empreinte biométrique unique.
Selon World, ces données permettraient de prouver l’identité humaine d’un individu lors d’interactions sur des plateformes numériques.
Toutefois, cette expansion se heurte à un paysage réglementaire incertain qui pourrait freiner l’adoption du projet et entraver la confiance des utilisateurs.
« Il n’existe pas de loi fédérale aux États-Unis réglementant spécifiquement les données biométriques comme les scans de l’iris », a expliqué Andrew Rossow, avocat spécialisé en droit numérique, à Cointelegraph.
Effectivement, les législations varient selon les États. Parmi ceux ciblés par World, seuls le Texas et la Californie disposent de protections juridiques explicites. En Géorgie, au Tennessee et en Floride, les utilisateurs doivent s’en remettre au droit fédéral, qui impose la transparence et l’équité, sans dispositions spécifiques sur les iris.
Toutefois, mlême là où la loi existe, elle ne garantit pas une vraie protection. Au Texas, seul le procureur général peut engager des poursuites en cas de violation des lois sur les identifiants biométriques.
Altman a annoncé l'arrivée de World sur le marché américain lors d'un événement organisé par la société il y a deux semaines. Source : World
« La protection des données des utilisateurs, dans le cas de World, dépend quasi entièrement des priorités du procureur général du Texas, de ses ressources et de sa volonté d’agir », souligne Rossow.
Un procureur actif pourrait imposer une régulation stricte. À l’inverse, une administration plus passive risquerait de relâcher la vigilance, exposant ainsi les consommateurs à d’éventuels abus.
C’est précisément ce risque d’exploitation qui alimente la mobilisation des défenseurs de la vie privée contre des systèmes comme World.
Privacy International, un groupe engagé pour la protection des données, a soutenu une action judiciaire contre World au Kenya. Il dénonce l’absence de garde-fous solides dans l’usage des technologies biométriques, qui selon lui « peuvent mener à de graves atteintes à la vie privée et à la sécurité personnelle, voire faciliter la discrimination, la surveillance de masse et les pratiques de profilage ».
Dès 2021, Amnesty International alertait déjà sur les dérives potentielles des systèmes biométriques, fondés sur des méthodologies discutables. Ces systèmes, avertissait l’organisation, « peuvent faire des inférences sur le genre, les émotions ou d’autres caractéristiques personnelles, malgré de graves lacunes scientifiques ».
« Cela signifie que les conclusions qu'ils tirent à notre sujet sont souvent invalides et que, dans certains cas, ils appliquent même les théories eugénistes de la phrénologie et de la physiognomonie. »
Pourtant, tout le monde ne partage pas cette inquiétude. Tomasz Stańczak, co-directeur exécutif de la Fondation Ethereum, affirme avoir passé « plus de 100 heures » à analyser le projet World, développé sur Ethereum. Il le juge « prometteur, robuste et bien plus respectueux de la vie privée qu’il ne l’imaginait au départ ».
Paul Dylan-Ennis, chercheur sur Ethereum et universitaire, estime lui aussi que la technologie World « est probablement solide sur le plan de la confidentialité ». Il reconnaît toutefois un problème d’image : « Il y a comme un parfum de Black Mirror qui dérange. »
Worldcoin visé par des interdictions dans le monde
Alors qu’OpenAI mise sur une stratégie américaine, le projet World fait face à des obstacles dans plusieurs pays, entre enquêtes, restrictions et interdictions.
En 2023, les régulateurs en Inde, en Corée du Sud, au Kenya, en Allemagne et au Brésil ont ouvert des enquêtes sur ses pratiques de collecte de données. En mars 2024, l’Espagne a été la première à interdire totalement World sur son territoire.
L’Agence espagnole de protection des données, interrogée par Cointelegraph, avait évoqué des plaintes d’usagers. Elle reprochait aux opérateurs de World un manque d’information, la collecte de données sur des mineurs, et l’absence de procédure de retrait du consentement.
En réponse, World a publié un article de blog affirmant respecter la loi « dans toutes les juridictions où il est actif ».
World a récemment rendu ses orbes de balayage de l'iris plus compacts et transportables. Source : World
Cette affirmation n’a pas convaincu. En mai 2024, Hong Kong a suivi l’exemple de l’Espagne et ordonné à World de cesser ses opérations, estimant qu’il violait la loi locale sur la vie privée.
D’autres pays ont exigé la suppression des données collectées. L’Allemagne et plus récemment le Kenya ont ordonné l’effacement des informations personnelles de milliers d’utilisateurs. La Colombie et l’Argentine ont infligé des amendes.
En janvier 2025, le Brésil a banni World, dénonçant l’irréversibilité des données collectées et le risque de manipulation des populations les plus vulnérables via des promesses de récompense crypto.
Le Japon et les États-Unis : Des marchés à fort potentiel
Malgré la défiance, le système d’identification de World s’implante peu à peu. Au Japon, il fait son entrée dans le secteur des rencontres en ligne.
Le 1er mai, Spencer Rascoff, PDG de Match Group (maison mère de Tinder), a annoncé que Tinder testerait l’intégration de l’identité World au Japon, afin de « garantir l’authenticité humaine des utilisateurs, tout en respectant leur vie privée ».
Malgré ces oppositions, World poursuit sa progression. Au Japon, l’outil d’identification est désormais testé dans le secteur des rencontres en ligne.
Le 1er mai, Spencer Rascoff, PDG de Match Group (propriétaire de Tinder), a annoncé que Tinder allait tester le système World ID, permettant aux utilisateurs de prouver qu’ils sont bien humains, avec un respect de la vie privée.
L’intégration n’est pas encore généralisée, mais Tinder reste l’application la plus utilisée au Japon, avec 1,38 million de téléchargements en 2024.
Si World décroche un partenariat similaire aux États-Unis, il accéderait d’un coup à 7,8 millions d’utilisateurs actifs par mois. En s’implantant aussi sur Bumble et Hinge, il pourrait couvrir 67 % du marché américain de la rencontre en ligne, collectant les identifiants uniques de dizaines de millions de personnes.
Toutefois, la situation juridique américaine est loin d’être claire. Au Texas, l’un des États ciblés par World, Google a récemment payé 1,4 milliard de dollars dans le cadre de deux procès liés à la collecte abusive de données personnelles, dont la reconnaissance faciale.
Dans d’autres États comme l’Illinois ou New York, des entreprises spécialisées dans la biométrie sont déjà poursuivies, tandis que les législateurs tentent d’encadrer plus strictement la collecte de ces données.