Et si la prochaine loi censée renforcer la souveraineté du dollar l’affaiblissait au contraire ? C’est l’avertissement inattendu lancé par Amundi, le plus grand gestionnaire d’actifs européen, à propos du GENIUS Act récemment adopté au Sénat américain. Alors que la législation vise à encadrer les stablecoins adossés au dollar, certains observateurs de poids redoutent qu’elle produise l’effet inverse. Pourquoi un texte qui vise à sécuriser l’usage des stablecoins pourrait-il devenir un cheval de Troie pour la domination du billet vert ?

Une brillante menace selon Amundi

Vincent Mortier, directeur des investissements chez Amundi, a livré une analyse aussi tranchée qu’inattendue du GENIUS Act. « Cela pourrait être du génie, ou cela pourrait être maléfique », a-t-il déclaré, pointant une contradiction majeure du texte américain. Le GENIUS Act impose en effet que les stablecoins adossés au dollar soient totalement garantis par des actifs de valeur équivalente ou supérieure, en premier lieu des bons du Trésor américain. Ce principe de collatéralisation pourrait en apparence renforcer la confiance dans ces actifs crypto et dans la monnaie américaine.

Pourtant, selon Mortier, cela pourrait paradoxalement renforcer l’idée que le dollar n’est pas si fort, en signalant au marché qu’une telle garantie est nécessaire. Mortier met également en garde contre un effet collatéral majeur : la transformation des émetteurs de stablecoins en quasi-banques, rôle pour lequel ils ne sont ni préparés ni réglementés à ce jour. Cette évolution pourrait « potentiellement déstabiliser le système global de paiements », prévient-il. En d’autres termes, ce que le Sénat américain présente comme une avancée réglementaire pourrait, selon Amundi, semer les germes d’une instabilité financière à plus grande échelle.

Vers un marché des stablecoins à 3 700 milliards $ ?

Le GENIUS Act, en attente d’approbation par la Chambre des représentants, pourrait aussi déclencher une ruée vers l’émission de stablecoins par les géants de la tech. Apple, Google et même X (l’ex-Twitter d’Elon Musk) exploreraient cette piste. Ce scénario n’a rien de marginal : selon Scott Bessent, secrétaire au Trésor, le marché des stablecoins pourrait atteindre 3 700 milliards de dollars d’ici 2030. Un chiffre vertigineux, qui reflète l’intérêt croissant pour ces actifs dits réels, adossés à des monnaies fiduciaires ou à des obligations d’État.

Avec une capitalisation actuelle de 254 milliards de dollars, dont 98 % en dollars américains selon DefiLlama, les stablecoins représentent déjà un pan majeur de l’écosystème crypto. Leur croissance est fulgurante : leur valeur en circulation a quasiment doublé depuis début 2023. Pour Abdul Rafay Gadit, fondateur de ZigChain, le GENIUS Act pourrait même catalyser le développement d’une finance tokenisée conforme, notamment dans des secteurs comme l’immobilier, le financement du commerce ou les sukuks (obligations islamiques).

Le GENIUS Act illustre les dilemmes croissants auxquels font face les États face à la montée des actifs crypto : encadrer sans étouffer, légitimer sans se déposséder. En voulant sécuriser les stablecoins en dollars, les États-Unis pourraient ouvrir la porte à un écosystème parallèle, où des multinationales émettent leurs propres devises numériques. Si le dollar garde aujourd’hui une position écrasante, la finance programmable pourrait bien redistribuer les cartes plus vite qu’anticipé.