Un ancien conseiller juridique spécialisé dans les politiques publiques chez l’exchange crypto Coinbase brigue le poste de procureur général de New York. Sa candidature, qui s’inscrit dans une volonté de défendre les intérêts de l’industrie crypto, se heurte toutefois à un environnement fortement acquis aux démocrates et à une défiance croissante envers l’influence du secteur sur les décisions publiques.
Khurram Dara, qui a également occupé des fonctions de régulation et de stratégie chez Bain Capital Crypto, a officialisé sa candidature le 21 novembre. Dans une vidéo publiée sur X, il explique vouloir mettre fin à la « guerre juridique » que mènerait, selon lui, la procureure générale Letitia James contre l’industrie crypto.
Dara affirme que ce traitement injuste du secteur renchérit les coûts pour les habitants de l’État. Le nouveau maire élu de New York, Zohran Mamdani, a d’ailleurs remporté son scrutin en mettant l’accent sur les difficultés liées au coût de la vie.
La campagne de Dara s’annonce semée d’embûches. James a largement remporté ses deux dernières élections, et les inquiétudes s’intensifient quant au poids grandissant du lobby crypto dans l’élaboration des lois.
Un ancien avocat de Coinbase veut défier Letitia James
Selon Dara, les politiques de James détériorent le climat des affaires à New York et contribuent à faire monter les prix.
« Quand vous faites de la politique avec la loi, quand vous régulez par la voie judiciaire, quand vous utilisez les poursuites pour façonner la politique, vous augmentez le coût des affaires, les dépenses juridiques et d’assurance. Cela se répercute sur les prix et pénalise avant tout les petites entreprises, les nouveaux entrepreneurs et les travailleurs new-yorkais », explique-t-il dans sa vidéo de lancement.
S’il est élu, Dara entend limiter la portée du Martin Act, un texte qui confère au procureur général de vastes pouvoirs pour enquêter et poursuivre les fraudes en matière de valeurs mobilières et d’immobilier. Surtout, cette loi permet d’engager des poursuites pour des pratiques considérées comme nuisibles au public, sans avoir à démontrer une intention frauduleuse ou une négligence.
Dara, comme d’autres critiques, reproche à James d’avoir utilisé ce texte à des fins politiques et non comme un instrument d’application neutre.
Sous la direction de James, le bureau de l’AG a engagé plusieurs procédures contre des entreprises crypto, notamment Bitfinex et iFinex, la maison mère de Tether. L’AG les a poursuivies pour avoir mélangé fonds clients et fonds internes afin de masquer un déficit de 850 millions de dollars. Son bureau a également obtenu 50 millions de dollars pour indemniser les victimes du programme Earn de Gemini.
Point essentiel pour l’industrie crypto, Dara veut réexaminer la BitLicense, le cadre réglementaire imposé aux entreprises du secteur. Ce régime impose des exigences plus strictes que celles d’autres États en matière de reporting, d’agrément et de conformité. Selon Dara et plusieurs critiques, ces règles ont poussé de nombreuses entreprises crypto à quitter New York. Dans sa vidéo, il qualifie même la BitLicense « d’illégale ».
Toutefois, Dara devra affronter une réalité politique hostile. Il se présente sous l’étiquette républicaine, dans un État où aucun membre de ce parti n’a été élu procureur général depuis près de 30 ans. Le dernier, Dennis Vacco, a perdu son poste face à Eliot Spitzer en 1998.
Lors de sa première élection en 2018, Letitia James avait battu son adversaire Keith Wofford avec près de vingt points d’avance. L’écart s’est réduit en 2022, mais elle a tout de même remporté l’élection face au Républicain Michael Henry avec 54,6 % des voix contre 45,37 %.
Au-delà de cette tendance historique, l’image nationale du Parti républicain s’est dégradée, tandis que New York City — zone électorale stratégique — vient d’élire un maire démocrate progressiste, Zohran Mamdani.
Le défi de Dara intervient alors que les intérêts du lobby crypto pèsent de plus en plus sur la scène politique, certains de ses représentants adoptant désormais une stratégie résolument partisane.
Crypto et politique : Une proximité grandissante
Lors des élections fédérales de 2024, les acteurs crypto ont joué un rôle majeur, en injectant près de 250 millions de dollars dans diverses campagnes à travers le pays.
Depuis, le secteur a renforcé son influence à Washington. Des textes majeurs comme le GENIUS Act — encadrant les stablecoins — ont été adoptés. L’industrie pousse désormais le Congrès à voter avant la fin de l’année le CLARITY/Responsible Financial Innovation Act.
Comme partout à Washington, le lobbying est omniprésent, et la crypto ne fait pas exception. Mais sa rapidité d’exécution alimente des craintes de « capture réglementaire » — autrement dit, que les autorités censées protéger l’intérêt général ne se retrouvent sous la coupe des entreprises qu’elles doivent réguler.
Le président américain Donald Trump, entré en fonction début d’année, a nommé à des postes clés plusieurs figures aux liens étroits avec l’industrie crypto. Il a également accordé sa grâce à des dirigeants emblématiques du secteur, comme l’ex-PDG de Binance Changpeng Zhao, ou encore quatre dirigeants de BitMEX, dont Arthur Hayes.
Les levées de fonds s’intensifient aussi. Les frères Winklevoss, fondateurs de Gemini, ont dépensé des dizaines de millions de dollars cette année. Leur soutien financier se fait désormais clairement partisan, avec plusieurs millions injectés dans des organisations cherchant à maintenir la courte majorité républicaine au Congrès.
Cette orientation inquiète certains acteurs, qui redoutent que le secteur crypto, trop aligné sur les républicains, se retrouve un jour en difficulté lorsque le balancier politique repassera du côté démocrate.
Le représentant démocrate pro-crypto Sam Liccardo a déclaré à Politico début octobre : « Je ne pense pas que quiconque dans cette ville recommanderait à une industrie de mettre tous ses œufs dans le même panier. »
Reste à savoir comment ce lien étroit entre la crypto et le monde politique influencera la campagne de Dara. Sa campagne n’en est qu’à ses débuts : il ne semble pas encore avoir de site officiel, uniquement une page de dons aux couleurs d’un logo similaire à celui utilisé par Mamdani lors de sa propre campagne.
Le manque de position claire de Mamdani sur la crypto ne semble pas avoir affecté sa popularité. De même, la tentative tardive de l’ex-gouverneur Andrew Cuomo d’attirer le vote crypto n’a pas suffi à lui donner un avantage. Il est probable que les électeurs new-yorkais voteront d’abord en fonction d’autres enjeux plus pressants.